Du contrôle optimal à la gouvernance mutli-échelles (2008)

Du contrôle optimal à la gouvernance mutli-échelles

Rapporteur : Jean-Pierre Müller (CIRAD).

Contributeurs : Frédéric Amblard (université de Toulouse), Jean-Christophe Aude (CEA), David Chavalarias (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/CNRS), Jean-Philippe Cointet (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/INRA ), Valérie Dagrain (Consultante technologie information), Guillaume Deffuant (Météo-France et université Paris-Est Cemagref), Sarah Franceschelli (Paris Jussieu), Pablo Jensen (ENS Lyon), Maud Loireau (IRD), Denise Pumain (université Paris 1), Ovidiu Radulescu (université de Rennes 1), Eric Sanchis (université Paul Sabatier).

Mots clés : gouvernance, contrôle, multi-critères, contrôle optimal, viabilité, négociation, multi-niveaux, compromis exploration/exploitation, incertitude, acceptabilité sociale, participation.
Introduction
Agir sur un système complexe pose d’abord aux institutions chargées de sa gouvernance le problème de la définition des objectifs à atteindre. Ces objectifs doivent souvent intégrer divers points de vue et intérêts contradictoires des parties prenantes à plusieurs niveaux. Ensuite, pour trouver des compromis et prendre des décisions concernant les mesures politiques à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs, il est nécessaire d’élaborer une bonne compréhension du phénomène, le plus souvent à travers des modèles incluant l’effet de ses éventuelles mesures. (Nous touchons ici à nouveau au problème général de la modélisation et de la reconstruction de la dynamique à partir de données, traité dans une autre section de la feuille de route). Malheureusement, les méthodes de contrôle actuelles (apprentissage par renforcement, viabilité, etc.) ne fonctionnent que dans des territoires étatiques de petite dimension. Nous pouvons rechercher des progrès dans deux directions : en étendant ces méthodes multi-niveaux à des espaces plus larges et à des dynamiques multi-niveaux (niveau centralisé ou décentralisé, par exemple), ou bien en projetant les modèles multi-échelles dans des espaces restreints. L’utilisation éventuelle de dynamiques stylisées constitue une autre direction de recherche qui pourrait ouvrir de nouvelles possibilités pour la mise en œuvre de mesures politiques appropriées sur les dynamiques complexes. Enfin, les dynamiques sont souvent incertaines ou méconnues, ce qui nécessite d’étendre le compromis entre exploration des parties les moins connues et exploitation des parties les mieux connues à la reformulation du problème (incluant la reformulation des objectifs). Dans ce contexte, la conception d’un système complexe peut se voir comme un problème de contrôle.

Grands défis
1. Étendre la portée du contrôle optimal
2. Projeter les dynamiques complexes dans des espaces restreints
3. Projeter le contrôle optimal dans un espace multi-échelles et de grande dimension
4. Étendre le compromis exploration/exploitation jusqu’à la reformulation du problème
5. Coadaptation de la gouvernance et des objectifs des parties prenantes


1.4.1. Étendre la portée du contrôle optimal
Les méthodes actuelles de contrôle optimal peuvent gérer les dynamiques non linéaires incertaines et les définitions flexibles des objectifs (dans la théorie de la viabilité, par exemple), mais elles sont limitées par le fléau de la dimension : ces méthodes doivent expérimenter le territoire étatique avec une précision déterminée, ce qui exige une puissance de calcul qui augmente de façon exponentielle avec la dimension du territoire étatique. Étendre ces méthodes à des espaces de plus grande dimension est donc primordial pour permettre leur utilisation dans le contexte des systèmes complexes.

Une approche possible pour aborder ces questions est le développement des structures plus faibles que le contrôle optimal. Le contrôle peut rechercher la résilience et la viabilité, par exemple, ou le maintien de certaines propriétés fonctionnelles importantes, sans exiger l’objectif traditionnel de contrôle optimal, ce qui revient à maximiser une fonction.

Enfin, dans certains cas, mêler l’optimisation mathématique des mesures politiques et les approches participatives dans le cadre d’un dialogue fréquent peut constituer un bon compromis entre flexibilité, acceptabilité sociale et rationalité. Ces approches nécessitent un objectif méthodologique spécifique sur la manière de définir les aspects du problème pouvant être traités automatiquement et sur la manière d’intégrer efficacement les résultats de ces algorithmes d’optimisation à d’autres aspects du processus de décision de groupe.


1.4.2. Projeter les dynamiques complexes dans des espaces restreints
Une autre possibilité pour aborder le problème posé par les limites des méthodes de contrôle actuelles consiste à réduire les dimensions des dynamiques complexes (à travers l’identification des dynamiques lentes, l’agrégation des territoires étatiques, la définition de dynamiques stylisées, etc.). Ce type de travail est également très important dans les processus de négociation et de formulation afin de fournir aux parties prenantes des matières intelligibles à partir desquelles elles pourront facilement exprimer leur point de vue. Nous ne connaissons pas d’approche de réduction qui se conforme aux opinions locales des différentes parties prenantes : de telles approches seraient très intéressantes.

La réduction de la dimensionnalité s’applique à la fois aux données (information) et aux modèles. Les techniques statistiques fondées sur l’analyse en composantes principales déterminent un espace linéaire contenant l’information essentielle. Elles ne s’appliquent pas à la corrélation non linéaire, alors que la projection devrait aboutir à des ensembles convexes. De nouvelles méthodes sont indispensables pour couvrir également ce cas. Les composantes indépendantes non linéaires constituent l’une des directions de recherche potentielles. Les techniques classiques de réduction de modèle, comme le calcul des moyennes, les perturbations singulières ou le calcul des ensembles invariants, sont fondées sur la séparation des échelles de temps et d’espace. Ces méthodes sont actuellement utilisées pour des applications en physique et en chimie, et elles pourraient être adaptées pour prendre en compte les spécificités d’autres domaines. En outre, les systèmes complexes ne sont que partiellement spécifiés. Par exemple, les modèles en biologie sont qualitatifs et la connaissance des paramètres est incomplète. Les méthodes classiques de réduction de modèle commencent par des modèles entièrement spécifiés (tous les paramètres sont connus). Nous avons besoin de techniques de réduction de modèle pouvant remplacer les données numériques par des données ordinales (un paramètre est bien plus petit que les autres) ou d’autres types d’informations qualitatives.


1.4.3. Projeter le contrôle optimal dans un espace multi-échelles et de grande dimension
Une possibilité supplémentaire consiste à étendre le contrôle optimal (et tout développement au-delà du contrôle optimal) aux systèmes multi-échelles de grande dimension. Cette extension doit envisager la possibilité d’utiliser la distribution de politiques à différents niveaux, et en particulier de manière décentralisée. Cet objectif représente un véritable défi, même si l’effet des contrôles est parfaitement connu, car non seulement le système, mais le contrôle lui-même est multidimensionnel et produit des effets potentiellement non linéaires dans la coordination du contrôle. La recherche a besoin de nouvelles approches pour progresser dans cette direction.

La portée de cette approche pourrait également être étendue aux cas à objectifs multiples à différentes échelles. Cette possibilité consiste à introduire le concept d’« objectif complexe » et exigerait probablement de nouveaux formalismes pour décrire l’architecture et les liens entre ces objectifs multi-échelles. Comme elles sont décrites à différents niveaux, les méthodes de contrôle actuelles ne sont pas adaptées à ce concept. De nouvelles recherches devraient donc être entreprises dans ce domaine en utilisant un contrôle centralisé ou distribué. Cette dernière méthode est séduisante, car elle permet une sémantique différente de contrôle et de mesures à différentes échelles. Le concept soulève plusieurs questions, notamment : comment coupler et synchroniser les contrôleurs ? Comment gérer des mesures simultanées et opposées sur le système ? Comment gérer les différents niveaux hiérarchiques ? Comment associer participation/prise de décision/optimisation ? Comment mettre en œuvre un contrôle distribué avec un unique objectif général ou de multiples objectifs locaux, ou encore les deux ?


1.4.4. Étendre le compromis exploration/exploitation jusqu’à la reformulation du problème
Les décideurs ont souvent de multiples possibilités d’action et ils doivent effectuer des choix pour allouer les ressources. Le résultat éventuel des mesures politiques, par rapport aux objectifs, reste souvent méconnu, ce qui rend l’évaluation des politiques très difficile. Par conséquent, les décideurs sont régulièrement confrontés à un compromis entre une nouvelle exploration des différentes possibilités d’action disponibles et l’exploitation de certaines possibilités en particulier. Explorer les possibilités exige des expériences à des échelles spatio-temporelles appropriées, et donc la dépense de ressources. Ces dépenses doivent être comparées avec le bénéfice potentiel de cette exploration, par rapport à l’exploitation pure et simple habituellement connue.

Dans le cadre de la gouvernance, l’exploration est nécessairement réalisée à une échelle spatio-temporelle déterminée, alors que les initiatives de gouvernance sont réalisées dans des systèmes ouverts et, par conséquent, à plusieurs échelles d’espace et de temps. Le défi est donc de proposer des méthodes et des outils pouvant aller au-delà des contraintes de l’exploration et combler l’écart entre les résultats des expériences d’exploration et la mise en œuvre de mesures de gouvernance in vivo à pleine échelle. Ces méthodes doivent tenir compte de la nature réactive et adaptable des systèmes ciblés, comme cela a été spécifié dans le défi nº 1.


1.4.5. Coadaptation de la gouvernance et des objectifs des parties prenantes
Dans un contexte multi-niveaux, identifier les parties prenantes et le territoire concerné est un problème en soi.
La coexistence de différents objectifs, qui peuvent être en conflit, soulève des problèmes de gestion ou de régulation du système. De plus, dans certaines circonstances, le fait que ces objectifs peuvent évoluer avec l’environnement (contexte social) ou s’adapter à un contexte dynamique (intelligence ambiante) rend le système encore plus complexe à gérer ou à concevoir.
Nous pouvons nous concentrer sur deux défis :
1.4.5.1. Dimension statique : gouvernance dans le contexte de l’hétérogénéité des parties prenantes, de leurs points de vues et de leurs intérêts
Le défi consiste à développer des modèles et des méthodologies prenant en compte l’importante hétérogénéité de points de vue et d’intérêts des parties prenantes, renforcée par l’intrication d’une large gamme d’échelles d’espace et de temps. L’analyse multi-critères est un point de départ pour résoudre ces problèmes, mais elle doit être étendue pour incorporer plusieurs objectifs parallèles et inclure le processus de reformulation. En outre, le choix d’indicateurs liés aux objectifs donnés ou à leur réalisation doit inclure la participation des parties prenantes et la facilité d’utilisation. D’autre part, les conséquences théoriques du choix des indicateurs, en particulier les biais qu’ils peuvent introduire, doivent être soigneusement étudiées. Ces outils et ces méthodes ont pour but d’aider à définir des critères pour l’analyse de l’adéquation des objectifs (évaluation en tout temps) et à progresser vers leur réalisation.
1.4.5.2. Dimension dynamique : évolution des objectifs et des points de vue des parties prenantes dans le processus de gouvernance
Le défi consiste à développer des modèles et des méthodologies prenant en compte les boucles de rétroaction associées aux mécanismes d’auto-régulation, ainsi que l’interdépendance des intérêts particuliers durant le processus de gouvernance. Par exemple, des changements dans les processus d’interaction des décideurs et des parties prenantes peuvent altérer leurs conceptions des objectifs, et du problème lui-même, et cette altération peut à son tour affecter le processus d’interaction. Ce processus devient encore plus complexe dans un contexte social, avec des efforts visant à coordonner de multiples objectifs au niveau collectif. Les échelles de temps doivent être prises en compte pour la constitution du modèle, la prise de décision et le processus d’interaction.
Ces aspects du problème sont liés à la question de la gouvernance et se concentrent sur le contexte participatif où le co-apprentissage devient aussi important que la négociation collective et la prise de décision. Par ailleurs, les résultats de l’interaction durant le processus de gouvernance peuvent ouvrir de nouvelles perspectives sur le problème, et éventuellement de nouveaux objectifs de gouvernance (prenant en compte, par exemple, l’acceptabilité sociale) ou encore de nouvelles structures de l’architecture multi-échelles des organisations de gouvernance.


 

 

1 reply

Trackbacks & Pingbacks

  1. […] contrôle à la gouvernance multi-niveaux. Du contrôle optimal à la gouvernance mutli-échelles. Intelligence territoriale et développement […]

Leave a Reply

Want to join the discussion?
Feel free to contribute!

Leave a Reply