Théorie et mesure des réseaux (2008)

Théorie et mesure des réseaux

Contributeurs : Cyril Bertelle, Jean-Philippe Cointet, Jean-Pierre Gaudin, Damien Olivier, Jean-Baptiste Rouquier

Mots-clefs : Réseau complexe, graphe de terrain, grand réseau d’interaction, graphe, hiérarchie, clustering, communautés, dynamique, robustesse, données partielles, données contextuelles

Introduction

La technologie actuelle produit des données à un rythme toujours plus rapide, et une partie de ces données peut être modélisée par des graphes. Dans de nombreux domaines, le point de vue graphe apporte un éclairage complémentaires aux analyses spécialisées propres au domaine. Cela permet notamment d’orienter les recherches vers les voies les plus prometteuses, d’appréhender la structure d’une grande masse de données. L’approche réseau est un moyen de travailler l’articulation multi-échelle qui caractérise la plupart des systèmes complexes.

Pour tenter de dessiner les contours du domaine des réseaux complexes, nous proposons les trois critères suivants : il s’agit de graphes qui sont

  • construits à partir de données d’observation
  • suffisamment grands pour permettre des statistiques et une approche agglomérative
  • évoluant essentiellement par des mécanismes locaux

Quels sont les verrous actuels de l’étude des réseaux ? Quelles sont les problématiques communes à plusieurs disciplines ? Au fil des pages de la feuille de route, les réseaux sont mentionnés plusieurs fois. Le but est ici d’identifier les problématiques communes, qui appellent des méthodes communes.

Défis

  • Structure et hiérarchie, classification (translation of this section at the end)
  • Classification

Recueil et formalisation des données

A. Incomplétude des données

La non-exhaustivité des données peut provenir de différents facteurs : coût de rassemblement, soucis de confidentialité, stratégie de rétention des possesseurs de données (capitalisation de l’information). Une partie de ce défi peut être aujourd’hui surmontée par des protocoles innovants de collecte de données. Notamment, l’obstacle des coûts ou de faisabilité peut être réduit par le recours à des protocoles qui s’appuient sur des dispositifs d’information embarqués, comme les téléphone portables, les dispositifs munis de puces RFID (type navigo/oyster), des logiciels proposés à l’utilisateur, etc.

Ces difficultés sont encore augmentées lorsque l’on souhaite faire un recueil longitudinal (encore appelé dynamique, ou diachronique) de données. La dynamique est par exemple cruciale pour étudier un réseau de déplacement de population (qui montre des cycles journaliers et saisonniers) et sa réaction aux incidents, ou bien l’infrastructure internet (le réseau de routeurs et serveurs) dont la dynamique est plus rapide que le processus de mesure.

Ces difficultés de collecte peuvent induire une description lacunaire des réseaux. Pour travailler avec des données lacunaires, il y a principalement deux voies :

  • utiliser des modèles artificiels pour compléter les trous ;
  • s’appuyer sur d’autres sources pour combler les manques (par exemple, utiliser des données statistiques et démographiques pour estimer les données manquantes)
  • prendre en compte, dès la mesure, un indicateur de confiance sur toutes les données (par exemple la probabilité qu’un lien dans les données existe réellement dans le système mesuré, ou bien un intervalle de confiance sur le poids d’un nœud). Puis adapter les méthodes à ce type de données.

 

B. Enrichissement du formalisme réseau

Le formalisme de base des réseaux s’appuie sur une approche relationnelle stricte (et homogène en termes de nœuds) qu’il s’agit ensuite de remettre en situation de plusieurs manières :

1. Introduire d’autres contextes

Il s’agit notamment d’approches géographiques : utiliser le contexte physico-spatial. D’autres contextes sont la démographie, l’économie et la politique. Par exemple, comment travailler sur des données concernant la préparation d’un projet, les présents aux réunions, comment mesurer l’implication des partenaires ?
Leur prise en compte appelle à un enrichissement de l’analyse des structures relationnelles, et vice-versa : l’approche réseau éclaire ces contextes.
L’art du modélisateur prend toute sa mesure sur ces problèmes, pour contrôler quelle information est perdue lors de la modélisation (par exemple en approximant l’économie d’une ville par sa population et quelques flux tels que eau et argent), nécessairement schématique. L’information entrée dans le modèle peut être largement améliorée.

2. Donner du relief

Les réseaux dont les relations sont purement binaires décrivent des situations décontextualisées. Il s’agit donc de développer des procédures à même de prendre en compte plus d’informations :

  • un cas en cours est celui des réseaux orientés(ou dirigés) et/ou pondérés(ou valués: les nœuds et liens ont un poids)
  • la superposition de réseau (multi-réseau)
  • la sémantique des liens (par exemple, contenu textuel attaché à un échange d’emails)
  • des nœuds hétérogènes (s’il y a deux types de nœud, c’est un réseau biparti, mais il peut y en avoir plus)
  • hyper-réseaux : formalisation d’un tissu relationnel qui se constitue autour d’événements, d’enjeux et de co-production qui engagent un ensemble d’agents.

 

Dynamique

La prise en compte de la dynamique dans les grands réseaux est essentielle pour leur approche dans le cadre de l’étude des systèmes complexes. Trois aspects sont à considérer et sont développés dans la suite : la caractérisation de ces dynamiques, la mesure des dynamiques elles-mêmes et les propriétés induites.

1. Caractérisation des dynamiques

La dynamique peut s’exprimer de différentes façons non nécessairement exclusives :

  • la dynamique dans le réseau telle que la variation des flux portés par la connectivité du réseau,
  • la dynamique du réseau lui-même, correspondant à la variation de la topologie/structure du réseau.

De plus, ces deux dynamiques sont amenées à interagir et il est nécessaire alors d’étudier leurs pro-actions et rétro-actions.

2. Mesure de la dynamique

Il s’agit ici de pouvoir étudier et qualifier la trajectoire de l’évolution du réseau, avec la mise en évidence de certains comportements caractéristiques tels que des dynamiques lentes ou rapides ou encore des phénomènes de bifurcations.

L’inscription de cette dynamique dans le réseau conduit à des constructions morphologiques. L’étude de ce phénomène peut s’effectuer sous différents angles :

  • la genèse de l’apparition de ces formes (aspect stigmergique du processus : lien important entre la forme en construction et la dynamique),
  • la détection de formes localisées dans le réseau (réseaux sociaux, …) et la dynamique des processus d’auto-organisation qui en sont à l’origine,
  • l’influence du réseau global sur les processus émergents locaux.

Ces différents éléments amènent des questions telles que :

  • le réseau conserve-t-il les mêmes caractéristiques au cours de sa constitution ?
  • existe-t-il des étapes structurelles au cours de sa dynamique ?

 

3. Propriétés et maîtrise du réseau dans sa dynamique

La manipulation des grands réseaux en tant qu’outils de modélisation appelle à identifier des propriétés et des méthodes de contrôle ou de régulation.

On peut s’intéresser à l’expression de lois de conservation sur les réseaux en tant que structures discrètes et notamment transposer ces lois de manière opératoire sur des très grands réseaux. A l’opposé, on peut être amené à modéliser des effets dissipatifs.

Étudier la dynamique, c’est implicitement étudier la robustesse et la résilience. Comment des perturbations introduites sur le réseau modifient les trajectoires ?

Enfin, un problème important est celui du contrôle des trajectoires par des actions locales sur le réseau, et des dynamique multi-échelle. Comment une modification à un niveau d’échelle donné (par exemple au niveau méso : application d’une politique publique) se répercute sur les autres niveaux d’échelles ?


Structure et hiérarchie, classification

La hiérarchie peut signifier simplement un ordre d’importance entre les nœuds. Ordonner les nœuds permet de diriger les efforts vers les entités les plus importantes : les protéger (vaccination, sécurité, renforcement), les contrôler et surveiller, leur allouer plus d’effort pour les mesurer…

Mais de façon plus importante, parler de hiérarchie c’est parler de structures telle que dendrogrammes ou communautés hiérarchiques. Comprendre cette organisation multi-échelles est crucial pour comprendre à la fois comment les structures à grande échelle émergent d’interactions locales (de bas en haut) et réciproquement comment (de haut en bas) comment la structure globales (par exemple des institutions) influe sur les entités locales. Il faut bien sûr combiner ces deux approches, ce qui donnera une vision de l’échelle mésoscopique.

Beaucoup de méthodes fructueuses pour trouver de la structure dans un réseau ont été publiées : petit mondes et navigabilité, mesures de centralité, détection de communautés (cf. “Community detection in graphs”, Santo Fortunato, 2010)…
Il existe également des modèles de génération de réseau : attachement préférentiel, block model (voir “A Survey of Statistical Network Models”, Anna Goldenberg, Alice X. Zheng, Stephen E. Fienberg and Edoardo M. Airoldi, 2009). Une régression entre un tel modèle et des données permet de préciser sa structure.
Peut-on espérer une théorie plus unifiée ou un modèle intégré pour décrire la structure d’un réseau, adaptable à de nombreux cas particuliers ?

D’un point de vue technique, il manque toujours un logiciel générique pour analyser et visualiser les réseaux, bien qu’il existe des projets prometteurs (GePhi, Tulip…).


Classification

Il est classique de distinguer les réseaux naturels des réseaux artificiels. Les premiers on tendance à être assortatifs (ce que l’on appelle homophilie), leurs liens résultent d’affinités, tandis que les seconds font souvent preuve de l’effet inverse et des contraintes externes ont une influence (par exemple, des politiques publiques sur les réseaux commerciaux). Mais cette distinction sur l’origine des données a des limites dans ses capacités opératoires, il nous faut chercher d’autres classifications.

Il est aussi nécessaire d’avoir des approches différentes pour les petits et les grands réseaux : dans le premier cas on peut s’attacher à l’exhaustivité et apporter une attention à chaque nœud, tandis que le second exige une vision globale, un résumé du réseau.

Beaucoup de paramètres mesurables ont été définis (“Characterization of Complex Networks: A Survey of measurements”, L. da F. Costa, F. A. Rodrigues, G. Travieso and P. R. Villas Boas). Nous avons maintenant besoin d’une vision globale sur les invariants et propriétés pertinentes pour classifier les réseaux. Nous avons besoin de façons de comparer les réseaux entre disciplines, pour faciliter le portage de méthodes, pour obtenir des idées précises et des intuitions de tous les domaines.

 

 

Prédiction des dynamiques multi-échelles (2008)

Prédiction des dynamiques multi-échelles

Les prédictions des modèles de dynamiques multi-échelles peuvent être multiples, quantitatives, qualitatives, probabilistes…selon l’objectif assigné au modèle. Quel que soit le type de prédiction il est indispensable de qualifier cette prédiction. L’évaluation des poids respectifs des différentes sources d’erreur et d’incertitudes identifiées dans la qualité de prédiction est un préalable à l’utilisation pertinente du modèle. Dans la conception des modèles, des hypothèses parfois fortes sont faites pour passer d’une échelle à l’autre (agrégation / désagrégation). Elles ont des répercussions sur les prédictions, et notamment sur les changements de régime (bifurcation) et les événements rares ou extrêmes. Inversement, la détection à partir des valeurs prédites des changements de régimes et de leurs transitions, qu’ils soient attendus ou non, est un autre défi.
In fine, l’usage qui est fait des prédictions peut, en particulier dans les modèles sociaux, avoir une influence sur le domaine de validité des prédictions. La question de savoir s’il faut revenir sur la conception du modèle dynamique ou bien élaborer séparément un modèle d’usage renvoie à l’étude des relations entre prédictions, prescription, gouvernance et coûts.

  • Mots-clés : qualité, apprentissage, validation, domaine de validité, analyse de sensibilité, incertitude, propagation d’erreur, agrégation, désagrégation, valeurs extrêmes, événements rares, prescription, gouvernance, réflexivité

 

  • Les grands défis :
    • Propagation des erreurs et des incertitudes au sein d’un modèle multi-échelles
    • Effets d’agrégation-désagrégation entre sous-modèles, et ses répercussions sur les prédictions, en particulier sur les changements de régime, les valeurs extrêmes ou rares.
    • Détecter l’apparition des différents « régimes » et leurs transitions (qu’ils soient attendus ou non), et sa répercussion sa répercussion sur les événements rares ou extrêmes.
    • Quelles relations entre prédiction, prescription, gouvernance et coûts ?

Grands Défis

  • Propagation des erreurs et des incertitudes au sein d’un modèle multi-échelles
  • Effets d’agrégation-désagrégation entre sous-modèles, et ses répercussions sur les prédictions, en particulier sur les changements de régime, les valeurs
  • Détecter l’apparition des différents ” régimes ” et leurs transitions (qu’ils soient attendus ou non), et sa répercussion sur les événements rares ou extr
  • Quelles relations entre prédiction, prescription, gouvernance et coûts?

1. Propagation des erreurs et des incertitudes au sein d’un modèle multi-échelles

L’expérience montre que si les biologistes / modélisateurs consacrent beaucoup de temps et d’énergie à l’écriture conceptuelle et informatique de leurs modèles, ils en réservent trop peu à l’analyse de leurs propriétés. Dans le cas de modèles multi-échelles, on s’attaque à des processus pour lesquels l’étude analytique de leurs propriétés est de plus en plus délicate voire impossible à réaliser. Cependant, il est nécessaire d’évaluer la qualité de prédiction de ces modèles ou au moins de caractériser la précision de leurs prédictions. L’étude de la sensibilité du modèle aux différentes sources de variation, souvent corrélées, et de leur contribution sur la qualité de la prédiction est un défi en soi.

Un corollaire de la complexité croissante de ces modèles est que leurs sorties sont elles-mêmes plus complexes. Là où un modèle calculait quelques variables d’état à valeurs scalaires dans le temps, il produit aujourd’hui communément des variables d’état plus nombreuses, et de plus en plus souvent sous forme de vecteurs ou de matrices multidimensionnelles mélangeant variables qualitatives et quantitatives. Résumer les énormes quantités de données produites par les modèles actuels, et traiter des données non scalaires, en entrée comme en sortie des modèles doit donc également faire partie d’une telle analyse.

Cependant, comme il est souvent impossible de pouvoir disposer de toutes les données nécessaires à l’évaluation propre de la qualité de prédiction du modèle, une stratégie est souvent d’utiliser des scénarios sur lesquels la prédiction est faite et d’en déduire par exemple des intervalles de confiance. Or, dans les systèmes complexes ces scénarios sont souvent établis sur un corpus d’hypothèses souvent non disjoint de celui du modèle. Par exemple, les recherches sur les modes économiques permettant de réduire les quantités de CO2 émises dans l’atmosphère afin de réduire leur impact sur les changements climatiques sont faites sur la base des séquences climatiques fournies par les modèles de changements globaux établis eux-mêmes à partir de scénarios économiques.

Dans ce contexte de modèles multi-échelles (spatiales et/ou temporelles et/ou niveaux d’organisation ; où il existe un opérateur d’agrégation ou moyennage), l’analyse des incertitudes du modèle peut se décliner par l’analyse du conditionnement du modèle d’une boite (d’un niveau d’organisation ou d’échelle) par rapport à la boite d’un niveau supérieur (utilisation de variables exogènes ; forçage ; scénario), et ensuite par l évaluation de la qualité de la prédiction notamment en conditionnant l’erreur d’une boite par rapport à l’erreur d’une boite d’un autre niveau (analyse et propagation d’erreur, incertitude, prise en compte du caractère stochastique).


2. Effets d’agrégation-désagrégation entre sous-modèles, et ses répercussions sur les prédictions, en particulier sur les changements de régime, les valeurs extrêmes ou rares.

Dans les systèmes multi-échelles, il existe souvent des ” effets de transition ” brutaux, qui peuvent aussi être le phénomène que l’on souhaite prédire. La prédiction de ces phénomènes rend la modélisation d’autant plus difficile qu’il y a superposition et interaction de dynamiques à des échelles spatiales ou temporelles et des niveaux d’organisation différents.
La communication entre ces différents niveaux ou échelles se fait souvent par le biais de processus d’agrégation et de désagrégation et des hypothèses sont souvent faites pour procéder à ces changements d’échelle ou faire communiquer les différents niveaux d’organisation. Cependant leur aptitude à pouvoir rendre compte d’événements rares ou extrêmes est souvent négligée au profit de l’aptitude du modèle à prédire les comportements globaux.

Le défi est donc d’analyser les répercussions des hypothèses formulées pour faire communiquer les différents niveaux d’organisation ou réaliser les changements d’échelle sur les prédictions.

Exemple : vagues déferlantes gommées au profit d’une dissipation moyenne.


3. Détecter l’apparition des différents ” régimes ” et leurs transitions (qu’ils soient attendus ou non), et sa répercussion sur les événements rares ou extrêmes.

Les phénomènes multi-échelles sont caractérisés par la superposition de dynamiques multiples. Cette caractérisation des régimes et de leur causalité étant essentielle à la prédiction, il est nécessaire de pouvoir identifier les dynamiques lentes pour anticiper les changements de régimes (bifurcation), décorréler les phénomènes à dynamiques rapides des transitions et analyser l’impact des changements de régime sur l’apparition d’événements extrêmes.

Exemple : inversion du champ magnétique, tsunami, émergence d’algues toxiques


4. Quelles relations entre prédiction, prescription, gouvernance et coûts ?

Dans le contexte multi-échelles et plus particulièrement dès lors que des acteurs peuvent intervenir sur le système, il est très difficile de pouvoir évaluer la qualité de prédiction des modèles. D’autant plus que bien souvent, plusieurs modèles sont en jeu, développés souvent indépendamment, à des échelles différentes avec des finalités parfois contradictoires.
Sur la base de sa finalité (ou des finalités du niveau supérieur), chaque échelle émet une prescription (stratégie optimale sur la base du modèle pour atteindre la finalité) en fonction des coûts donnés (coûts d’événements, couts d’action et coûts d’erreur de prédiction).
Comment l’anticipation par chaque échelle de l’interprétation de sa prescription par les autres échelles, doit-elle infléchir sa prescription ? Egalement, la connaissance par les acteurs des prédictions d’un modèle modifie son comportement ce qui induit un changement des conditions de validité des prédictions : l’observateur modifie le système observé. Quelle doit être la bonne prescription et que doit-on évaluer sachant qu’une prescription peut être interpréter de manière très variée ?

Exemple : comment valider les prédictions de Bison futé
Exemple : comment le scientifique doit parler au politique sachant que le politique a parfois des objectifs antagonistes

 

 

 

Du contrôle à la gouvernance multi-niveaux (2008)

Du contrôle à la gouvernance multi-niveaux

Agir sur les systèmes complexes dont les dynamiques se déploient à plusieurs échelles de temps et d’espace pose tout d’abord le problème de définir les objectifs à atteindre. Il s’agit souvent d’intégrer divers points de vue et intérêts contradictoires des parties prenantes. Ensuite, les méthodes de contrôle actuelles (contrôle optimal, viabilité, apprentissage par renforcement…) ne fonctionnent que dans des espaces d’états de petite dimension. Une première piste est d’étendre ces méthodes à des espaces plus larges, et à des dynamiques multi-niveaux, dont un extrême est la négociation entre acteurs. Une autre est de projeter les modèles multi-échelles dans des espaces plus restreints, notamment en déterminant des dynamiques stylisées. Enfin, les dynamiques sont souvent incertaines ou mal connues, il faut donc étendre le compromis entre exploration et exploitation de la dynamique à la reformulation du problème (incluant la reformulation des objectifs). Dans ce cadre, la conception d’un système complexe artificiel peut se voir comme un problème de contrôle.

Mots-clés: gouvernance, contrôle, multi-critère, contrôle optimal, viabilité, négociation, objectifs multiples, multi-niveau, compromis exploration/exploitation, incertitude, acceptabilité sociale, participation.

Grands défis:

  • Définir et reformuler les objectifs.
  • Du contrôle optimal à la gouvernance.
  • Projeter des dynamiques multi-dimensionnelles dans des espaces plus simples et vice-versa.
  • Etendre le compromis exploration/exploitation jusqu’à la reformulation du problème.

Grands Défis

  • Définir et reformuler les objectifs
  • Du contrôle optimal à la gouvernance
  • Projeter des dynamiques multi-dimensionnelles dans des espaces plus simples et vice-versa
  • Etendre le compromis exploration/exploitation jusqu’à la reformulation du problème

1.Définir et reformuler les objectifs

Il s’agit de prendre en compte le fait que les parties prenantes peuvent avoir une pluralité d’objectifs à la fois entre eux et avec le ou les objectifs collectifs eux-mêmes négociables. Ce dernier point pose le problème de l’articulation du local et du global. Dans un contexte multi-niveau, l’échelle de concernement d’une question (qui est impliqué et sur quel territoire) est elle-même un problème. Si les méthodes multi-critères commencent à être connues, il s’agit d’en élargir le cadre pour gérer parallèlement l’ensemble des objectifs, y compris leurs possibles reformulations. De plus, à différents niveaux des questions différentes émergent sans que leur articulation ne soit évidente, entre autre, à cause des langages propres à chaque compétence. Une autre question est l’incidence de l’usage des dispositifs techniques (méthodes multi-critères, SIG,…) dans des arènes de négociation. A la formulation des objectifs est associée la formulation des mesures relatives à la réalisation de ceux-ci: les indicateurs. Finalement, il y a une forte dépendance entre les éléments du tryptique objectifs-démarches-indicateurs qu’il s’agit de mieux comprendre et d’en tracer la dynamique.


2.Du contrôle optimal à la gouvernance

Le contrôle suppose l’existence d’un modèle suffisamment gérable dans sa dimensionalité, dans son adéquation à la fois aux objectifs et au réel ainsi qu’à la prédictibilité. Dans le cas des systèmes complexes, l’incertitude, la non-prédictibilité, souvent la multiplication des dimensions surtout dans des contextes multi-échelles, la multiplicité des points de vue rend le modèle lui-même complexe et même objet de négociation. De la même façon, la notion d’optimalité s’assouplit vers les notions de viabilité, de satisfaisabilité ou d’acceptabilité. Dans ce contexte le cadre du calcul de la ou des solutions optimales a besoin d’être revisité jusqu’à la négociation comme processus d’exploration des solutions possibles. Une autre dimension est la forme même du contrôle qui n’est pas nécessairement de l’extérieur du système mais aussi de l’intérieur et/ou de façon distribuée.


3. Projeter des dynamiques multi-dimensionnelles dans des espaces plus simples et vice-versa.

La multi-dimensionalité de l’espace de décision pose la question de sa possible réduction par différentes techniques (par exemple, l’identification des dynamiques lentes, l’aggrégation, la modélisation du modèle,…). Cela suppose un aller-retour constant entre les espaces à explorer et la possibilité d’en résumer localement temporellement ou spatialement l’essentiel en vue de la négociation et de la décision. Notamment, une voie d’investigation est l’extraction de dynamiques stylisées et leur articulation pour rendre intelligible la complexité des processus à l’oeuvre. Dans l’autre direction, se pose la question de l’articulation de points de vues nombreux, simples individuellement mais complexes dans leur interactions et leur contribution aux dynamiques globales et la démarche de construction de tels modèles.


4. Etendre le compromis exploration/exploitation jusqu’à la reformulation du problème.

La complexité du système rend son exploration systématique impossible. Or il est important de créer une confiance suffisante sur les décisions prises en présence d’incertitude et d’imprédictibilité.
Dans une dimension, il s’agit d’explorer cette complexité à travers un modèle ou à travers des modèles successifs négociables, et co-construit ou non. Dans l’autre dimension, cette exploration peut se faire par différentes démarches allant du calcul à la négociation avec toutes les combinaisons possibles. Se pose la question de comprendre l’effectivité des cheminements possibles et de leur mise en oeuvre dans ces deux dimensions, et notamment la combinatoire entre l’optimum et l’acceptabilité sociale.


 

 

Morphodynamiques et émergences spatio-temporelles (2008)

Morphodynamiques et émergences spatio-temporelles

La reconstruction des formes et de leurs morphodynamiques pose des défis redoutables. Comment identifier les formes émergentes dans un flux d’images bruitées, incomplètes, prises à intervalles réguliers ou non ? Comment représenter ces formes ? Quels langages de description des formes sont à développer, voire à inventer ? Comment définir la similarité entre des formes et catégoriser ces formes ? Comment penser la « dérivée d’une forme », de façon continue ou de façon discrète ? Quels langages pour décrire la dérivée d’une forme, comme les L-systèmes pour les aspects globaux de la morphogenèse des plantes ? Comment une forme peut devenir le support d’un processus « autonome » qui influence les entités qui l’ont fait émerger ? Plus largement, les formes émergent à différentes échelles spatiales avec des temps caractéristiques différents et des phénomènes de rétro-contrôle de la forme globale sur les formes et les morphodynamiques locales. Quels modèles pour intégrer ces morphodynamiques aux différentes échelles ?

Mots clés: morphodynamique, émergence-immergence, reconstruction de formes et de motifs, théorie des singularités, fractales, dérivée d’une forme, automate cellulaire, équations aux dérivées partielles, biomécanique

Grands Défis


1. Les stratégies de représentation et l’extraction des paramètres pertinents selon les objectifs de la reconstruction.

Les systèmes complexes sont le siège à toutes les échelles de l’émergence d’une grande variété de structures, de formes et de motifs. Ceux-ci constituent des unités pertinentes pour comprendre le fonctionnement et l’évolution de ces systèmes (tissus formés par les cellules, communautés dans les réseaux sociaux, macro-structures formées par les courants marins, etc.).
La reconstruction de ces formes et de leurs dynamiques (morphodynamiques) nécessite de développer des protocoles de mesure à même de rendre compte de l’évolution d’un système à plusieurs échelles spatio-temporelles. Cette reconstruction doit également faire face au caractère incomplet et bruité des données obtenues ce qui amène le problème de la complétion des données et par là-même des formes reconstruites. La mise en évidence théorique de certaines invariances d’échelle spatiales ou temporelles peuvent considérablement structurer des protocoles de collecte de données. L’explicitation théorique de formes remarquables et de leurs propriétés singulières au sein d’un modèle donné ouvre la voie à des méthodes de détection automatique de formes et de complétion de données.

Comment représenter ces formes ? Quels sont les formalismes qui nous permettront d’articuler correctement le passage de la collecte de données à la détection de motifs ? De quelle manière ces formalismes pourront-ils nous aider à identifier les mesures pertinentes pour la détection, la complétion et la reconstruction de motifs ? Il y a là un enjeu majeur dans la mise en place d’une dialectique entre modélisation et collecte de données pour la compréhension des morphodynamiques.

Défi:
Définir des méthodes de mesures directement couplée aux méthodes de reconstruction de formes qui permettent une prise en compte des changements d’échelles spatiotemporelles et la prise en compte des données incomplètes.

Exemples :

    • Structure et dynamique des réseaux d’interactions naturels, sociaux ou artificiels.
    • Reconnaissance de motifs cellulaires ou tissulaires au cours de la morphogenèse (systèmes vivants).
    • Le jeu des possibles (systèmes vivants).

2. Développer des formalismes morphodynamiques.

Les formes (continues) et les motifs (discrets) émergent à différentes échelles spatiales avec des temps caractéristiques différents et des phénomènes de rétro-contrôle de la forme globale sur les formes et les morphodynamiques locales. Le second défi est de développer des formalismes morphodynamiques pour rendre compte de l’évolution des formes et motifs aux différentes échelles prenant en compte les couplages émergence/immergence entre les niveaux.

Ce défi passe :
– par la conception de langages de « motifs » pour représenter la dérivée discrète dans l’espace et le temps d’une forme : c’est le cas des L-systèmes pour la morphogenèse des plantes.
– par la catégorisation des morphodynamiques, comme dans le cas des champs morphogénétiques qui donnent naissance aux organes dans l’embryogénèse,
– la compréhension profonde des phénomènes physiques, cognitifs et sociaux à l’œuvre dans les influences inter niveaux pour intégrer les morphodynamiques et les émergences.

Résultats attendus :
– reconstruction des dynamiques des formes et motifs aux différents niveaux
– reconstruction boucles de retro-contrôle entre la forme globale émergente sur les formes et et les morphodynamiques locales.
– l’étude de la persistance-résilience-viabilité de ces formes et motifs en fonction des perturbations envisageables aux différentes échelles.

Exemples :

    • Les pores dans la structure du sol et leur interaction avec les microorganismes. Associer des typologies de structure du sol et leur morphodynamique à des activités biologiques.
    • Emergence de communautés et de normes dans les systèmes sociaux, etc…
    • Rôle des réseaux dans la configuration des territoires et la différenciation d’entités localisées-
    • Motifs caractéristiques dans la dynamique des séries temporelles climatiques.
    • Lien entre dynamiques spatiales et topologie : types d’interaction.
    • Reconstruction de l’évolution des concentrations et dispersions spatiales en biologie, sous l’effet d’interactions de portée spatiale variable à différentes échelles temporelles.
    • Question de la croissance des réseaux, réseaux endogènes, contraintes topologiques.
    • Persistance, résilience et changement des configurations spatiales sous l’effet de processus spatio-temporels.

 

 

Perturbation et robustesse des systèmes complexes (2008)

Perturbation et robustesse des systèmes complexes

 

La coexistence dans un même système et à différentes échelles à la fois de sensibilités et de robustesses à différents types de perturbations est une des caractéristiques des systèmes complexes. Leur prédiction et leur contrôle ne peuvent pas faire l’impasse sur cette composante peu connue. Les modèles doivent intégrer cette dimension des systèmes et servir de support pour identifier et aborder les questions théoriques sous-jacentes en relation avec les objets concernés. Un premier défi concerne le couplage des composants et niveaux hiérarchiques de temps caractéristiques variés d’un système complexe qui le conduit à être toujours observable à certaines échelles comme étant en régime transitoire ; il est donc important d’étudier de manière approfondie de tels régimes. Un deuxième défi concerne l’importance pour les systèmes comme pour leurs modèles d’être capable d’identifier les sensibilités aux perturbations, quels que soient les niveaux hiérarchique ou les composants sur lesquelles elles s’exercent. Enfin, le dernier défi aborde la question de l’apparition de formes ou de motifs lors de l’évolution de systèmes complexes ; cette apparition est souvent rendue possible par l’existence à de nombreuses échelles dans le système de variabilités de nature différente : c’est l’impact de ces variabilités qu’il faut étudier en tant que telles mais aussi dans un objectif de prédiction et de contrôle de l’émergence et de la stabilité des formes et des motifs.

  • Mots clés: dynamiques transitoires, sensibilité aux perturbations, variatibilité locale, prédiction et contrôles, dynamiques multi-échelles.

Grands Défis

  • Analyse et caractérisation des transitoires dans les systèmes dynamiques multi-échelles
  • Identification et validation des sensibilités aux perturbations dans les systèmes et leurs modèles
  • Mise en évidence et rôle de la variation dans l’émergence et la stabilité de motifs

1. Analyse et caractérisation des transitoires dans les systèmes dynamiques multi-échelles.

Les composants d’un système complexe comme ses niveaux hiérarchiques sont autant de systèmes dont les dynamiques sont couplées et dont les échelles de temps sont différentes. Certaines de ces dynamiques n’atteindront pas leur équilibre pendant le temps caractéristique du système dans son ensemble ; par ailleurs, celles qui l’atteignent ou qui pourraient l’atteindre sortent fréquemment de leur équilibre ou de leur trajectoire sous l’effet du couplage avec les autres composants ou sous l’effet de perturbations exogènes. Le système global contient ainsi en permanence des sous systèmes en phase transitoire et donc, suivant le niveau d’observation, le système sera observé en équilibre ou en régime transitoire.

La plupart des résultats connus sur les systèmes dynamiques concerne les équilibres (attracteurs). Lorsque les régimes transitoires (c’est-à-dire les régimes hors équilibre) sont étudiés, ils le sont souvent dans des systèmes isolés et en vue de comprendre la manière d’arriver à l’équilibre (comme par exemple l’utilisation des exposants de Lyapunov). Un défi très important pour les systèmes complexes est donc la compréhension des transitoires des systèmes dynamiques, déterministes comme stochastiques, en situation isolée ou comme sous-systèmes de systèmes multi-échelles.


2. Identification et validation des sensibilités aux perturbations dans les systèmes et leurs modèles

Les systèmes complexes sont soumis à de nombreuses perturbations. L’analyse de la sensibilité des systèmes à ces perturbations est nécessaire à leur compréhension, à leur prédiction et à leur contrôle. Il s’agit pour un large spectre de perturbations de savoir caractériser la sensibilité et la robustesse des systèmes et de leurs modèles. Cette démarche fournit des informations essentielles au processus de modélisation. Elle peut aussi apporter des connaissances lorsque les perturbations ne sont pas réalisables expérimentalement.

Les approches existantes en analyse de sensibilité sont mal adaptées à la grande dimension des systèmes complexes, ainsi qu’à leur caractère multi-échelle et souvent stochastique. Le défi est ici de définir les plans expérimentaux qui permettent d’explorer rationnellement l’espace des perturbations possibles ainsi que les méthodes pour rendre compte de leur influence sur la dynamique du système et de son modèle.


3. Mise en évidence et rôle de la variation dans l’émergence et la stabilité de motifs

Dans la nature, à toutes les échelles, on observe une grande richesse de motifs, de formes, de « patterns ». La compréhension de l’émergence et de la stabilité des formes – vivantes, culturelles, climatiques, etc. – nécessite d’intégrer des processus intervenant à d’autres échelles que celles auxquelles ces formes sont observées. Une question importante concerne la variabilité qui est présente, dans ces systèmes réels, à toutes les échelles de l’observation et dont l’impact sur l’émergence et la stabilité des motifs est très peu connu, que ce soit dans les systèmes ou dans leurs modèles

Le défi est ici de mesurer cette variabilité et de comprendre le lien existant entre les variabilités aux différentes échelles et l’apparition ou l’évolution des motifs : la variabilité est-elle une condition pour l’émergence de ces motifs ? Comment influence-t-elle la stabilité des motifs émergents ? Plus généralement, dans quelle mesure l’hétérogénéité des entités génère-t-elle un potentiel de propriétés émergentes ?

 

 

Émergence en physique : comportements collectifs et fluctuations hors équilibre (2008)

Émergence en physique : comportements collectifs et fluctuations hors équilibre

Contributeurs : Hugues Chaté, Olivier Dauchot et Daniel Bonamy.

A l’équilibre thermodynamique et à son voisinage, l’uniformité spatiale et la stationnarité temporelle sont la règle. Les fluctuations autour de ces états sont bien contrôlées et en un certain sens triviales. Les propriétés de transport sont gouvernées par un principe de réponse linéaire. A l’inverse, dès que l’on s’intéresse à des situations hors équilibre, (en présence de contraintes extérieures, ou au cours de relaxation extrêmement lentes – dynamique vitreuse), on constate à toutes les échelles l’émergence de comportements collectifs qui donnent naissance à des formes et des dynamiques complexes, fractales ou multi-fractales ainsi qu’à des propriétés de transport anormales. Les fluctuations autour de ces comportements globaux sont le plus souvent singulières; elles présentent des évènements extrêmes significatifs qui peuvent dominer les effets moyens et sont très sensibles aux effets de taille finie. Comprendre les mécanismes sous-jacents et identifier les comportements universels propres à ces situations hors équilibre est un des enjeux majeurs de la physique du 21ième siècle.

Mots clés : Morpho-dynamique, Mouvements collectifs, Fluctuations hors équilibre, Dynamique lente, Statistique des extrêmes.

Résultats attendus : Identifications de mécanismes élémentaires et de comportements universels hors équilibre, synthèse, auto-assemblage et analyse de matériaux complexes, modélisation des systèmes désordonnés, applications au-delà de la physique

 

Grands Défis


Auto-organisation, transport et dynamique spatiotemporelle de la matière complexe

La physique non linéaire s’est intéressée aux motifs (patterns) issus d’instabilités prenant place dans des milieux simples (par exemple des fluides purs). Les concepts de criticalité auto-organisée et de croissance d’interfaces rugueuses ont ouvert des voies pour la compréhension des nombreuses lois d’échelles et structures fractales observées dans la nature. L’étude des comportements collectifs et de synchronisation des systèmes chaotiques modèles a engendré des perspectives nouvelles sur les dynamiques spatio-temporelles multi-échelles.

Aujourd’hui il s’agit de comprendre ce type de phénomènes émergents dans le cadre d’assemblées de constituants élémentaires plus complexes en interaction (entités auto-propulsées, nano-particules, biomolécules…). Ainsi se posent les questions de l’émergence du mouvement collectif (à toutes les échelles depuis la coopération de moteurs moléculaires, jusqu’aux groupes de grands animaux), de l’auto-organisation des bio-films et tissus cellulaires, de l’émergence des formes et de leur dynamique.

Avec en tête ces problèmes ayant toute leur acuité en biologie, en écologie, voire en sociologie, les physiciens privilégient les expériences modèles et bien contrôlées, exécutées sur des systèmes maintenus hors d’équilibre: fluides complexes (mousses, pâtes, milieux granulaires…) soumis à des flux d’énergie (cisaillement, vibrations…). La simplicité (relative) des systèmes étudiés permet en retour une compréhension plus fine, allant à l’essentiel, et, souvent, l’observation complète de la dynamique spatio-temporelle, pré-requis incontournable pour une véritable confrontation aux idées théoriques et aux modèles (numériques) qui en découlent.


Fluctuations hors équilibre

Le 20ème siècle a vu le développement d’outils et formalismes performants permettant de décrire de manière cohérente les systèmes au voisinage de l’équilibre thermodynamique. Ces systèmes présentent des comportements « moyens » bien définis et il est possible de relier ces fluctuations à la réponse du système à une petite perturbation extérieure (théorème dit de fluctuation-dissipation).

Hors équilibre, les fluctuations –spatiales et temporelles – peuvent alors devenir extrêmement importantes et il n’est plus du tout évident de définir le comportement « typique » du système comme une moyenne sur ces fluctuations. Comment par exemple définir la résistance à la rupture d’un matériau lorsque celle-ci est entièrement dictée par le défaut le plus important ? Comment faire une prévision météorologique lorsque celle-ci est sensible à une petite perturbation locale? Comment établir une stratégie de gestion de risque sur les marchés hautement volatiles? Un des enjeux de la physique du 21ème siècle sera de développer les formalismes permettant de caractériser la statistique des fluctuations observées dans ces systèmes hors équilibre. Il s’agira en particulier d’être en mesure (i) de définir clairement la notion de comportements « typiques », (ii) de reproduire les mises à l’échelle de ces comportements dits typiques et (iii) d’étendre la notion de théorèmes fluctuation-dissipation dans ces systèmes hors équilibre.


Matériaux métastables, relaxations lentes et dynamique vitreuse

Les systèmes désordonnés et en particulier les matériaux hétérogènes (verres, colloïdes, émulsions, milieux granulaires, alliages de polymères…) ont une très grande difficulté à rejoindre l’équilibre. Soumis à des contraintes internes d’ordre structurelles ou cinétiques, éventuellement frustrés dans la satisfaction de ces contraintes, la richesse de leurs configurations possibles rend tout retour à l’équilibre inaccessible sur des échelles de temps raisonnables en regard de leur environnement.

Dans ces situations intrinsèquement instationnaires, la dynamique est dominée par des effets de vieillissement ou de mémoire et la réponse à une sollicitation extérieure dépend de l’histoire du matériau.

La compréhension de l’interdépendance entre structure et dynamique qui prend place à toutes les échelles est un défi majeur pour les physiciens, et la condition sine qua non pour la maitrise de nombreux procédés industriels existants et le développement de matériaux intrinsèquement complexes (verres adaptatifs, bétons auto-réparants, nanomatériaux intelligents…). Au delà de la physique, de nombreux problèmes fondamentaux en informatique théorique (problèmes de satisfiabilité) et en biologie (repliement de protéines et de macromolécules) relèvent de cette thématique.

 

 

Conception de systèmes complexes artificiels (2008)

Conception de systèmes complexes artificiels

Rapporteur : René Doursat (Institut des systèmes complexes/CREA, École polytechnique).

Contributeurs : Jean-Christophe Aude (CEA), Sofiane Ben Amor (Eurocontrol), Marc Bui (EPHE), René Doursat (Institut des systèmes complexes/CREA, École polytechnique), Jean-François Mangin (CEA), Jean Sallantin (CNRS LIRMM).

Mots clés : assistants artificiels, simulations virtuelles, modélisation fonctionnelle et régulation, bio-inspiration, systèmes autonomes et évolutifs.
Introduction
La modélisation et la simulation interviennent dans l’étude des systèmes complexes en complément de leur expérimentation. Le développement récent et rapide de la recherche sur les systèmes complexes dans de nombreux domaines scientifiques, et les interactions pluridisciplinaires qu’il a engendrées, sont dus pour l’essentiel aux grandes avancées en informatique, en particulier à l’essor du calcul à haute performance et aux réseaux. Les technologies de l’information et de la communication sont aujourd’hui l’outil d’investigation privilégié des systèmes complexes, suppléant souvent les approches analytiques et phénoménologiques dans l’étude des comportements émergents. En retour, elles en sont également l’un de leurs principaux bénéficiaires. Des systèmes complexes artificiels doivent être créés pour analyser, modéliser et réguler des systèmes complexes naturels préexistants. Inversement, l’émergence et la conception de technologies nouvelles doivent trouver une source d’inspiration grandissante dans les systèmes complexes naturels, qu’ils soient physiques, biologiques ou sociaux.

Grands défis
1. Utiliser les systèmes complexes artificiels pour comprendre et réguler les systèmes complexes naturels
2. S’inspirer des systèmes complexes naturels pour concevoir des systèmes complexes artificiels
3. Concevoir des systèmes complexes hybrides


1.6.1. Utiliser les systèmes complexes artificiels pour comprendre et réguler les systèmes complexes naturels
Les systèmes complexes naturels (SCN) recouvrent les systèmes existant à l’état naturel (motifs naturels, organismes biologiques, écosphère, etc.) mais également des systèmes résultant des activités humaines (villes, économies, réseaux de transport, etc.). L’une des principales applications des systèmes complexes artificiels (SCA) est de servir d’aide à la description, à la génération et au support des SCN. Le défi majeur de cette approche est de concevoir ainsi que de développer un modèle d’assistant permettant d’explorer systématiquement ou de réguler les SCN. La conception de systèmes complexes artificiels peut en particulier compléter l’intelligence collective humaine en intégrant différents niveaux d’expertise pour les harmoniser ou gérer leurs contradictions dans un travail collaboratif. De tels systèmes sont d’une nature différente des systèmes naturels observés, et reposent donc sur des structures et des principes de fonctionnement différents. Un SCA peut servir à réguler, planifier, réparer ou modifier un système complexe naturel. L’exécution du SCA peut s’effectuer de manière asynchrone, à l’écart du SCN, ou bien par intégration.

Exemples :

  • reconstruction de la topologie des connexions neuronales dans le cerveau par neuro-imagerie et techniques de vision artificielle fondée sur une architecture distribuée,
  • observation des groupes d’intérêt et des réseaux d’interaction sur Internet (forums, blogs, messageries instantanées) par des essaims d’agents logiciels,
  • réseaux et dynamiques du trafic aérien.

1.6.2. S’inspirer des systèmes complexes naturels pour concevoir des systèmes complexes artificiels
Afin d’inventer des systèmes technologiques autonomes, fiables et évolutifs, une nouvelle forme d’ingénierie devra de plus en plus s’inspirer des SCN. En sécurité informatique, par exemple, de nouveaux systèmes pourront imiter le fonctionnement du système immunitaire biologique pour fournir des solutions efficaces contre l’évolution permanente des attaques subies par les réseaux informatiques. Ces SCA sont élaborés à partir d’entités intrinsèquement distribuées, auto-organisées et évolutives. Ils reproduisent des comportements et principes d’organisation originaux préexistants dans les SCN qui, à ce jour, n’ont pas encore d’équivalent dans la conception technique classique. Dans certains domaines, les lois biologiques pourront remplacer les lois physiques dans la création de nouveaux principes en ingénierie informatique.

Les SCN fournissent ici aussi des sources d’inspiration prometteuses encore relativement peu exploitées comme modèles pour le développement de systèmes décentralisés robustes et modulaires disposant d’une autonomie de fonctionnement dans des environnements dynamiques (par exemple « informatique ubiquitaire», « intelligence ambiante »). Les SCA devraient être capables de reproduire les principes de concurrence, de coordination et de compétition observés dans les SCN.

D’autre part, la conception artificielle bio-inspirée de modèles n’est pas contrainte par une fidélité de principe au SCN source. L’innovation informatique et technologique peut librement se détacher des données expérimentales ou des exemples réels de mécanismes de fonctionnement. Par exemple, les neurosciences ont inspiré les réseaux neuronaux artificiels et l’évolution darwinienne a donné lieu aux algorithmes génétiques. De plus, les SCA ainsi créés peuvent jouer un rôle heuristique dans l’exploration des SCN. Les inventions technologiques permettent en retour de mieux comprendre, voire de prédire les phénomènes naturels qui les ont inspirés.

Exemples :

  • intelligence artificielle et robotique neuro-mimétique,
  • optimisation collective et intelligence en essaim inspirées par le comportement des insectes sociaux,
  • robotique évolutionniste,
  • matériaux intelligents, matériaux auto-assembleurs et ingénierie morphogénétique (nanotechnologies),
  • intelligence ambiante,
  • sécurité informatique inspirée par le système immunitaire ou les interactions sociales.

1.6.3. Concevoir des systèmes complexes hybrides
La diffusion rapide de dispositifs et de systèmes informatiques dans nos sociétés (téléphones portables, assistants électroniques de poche, etc.), et la complexité ainsi que l’abondance de leurs interconnexions constituent la plupart des systèmes complexes hybrides ou « techno-sociaux ». Ces systèmes peuvent être étudiés en les considérant comme communautés complexes composées d’une association d’agents naturels et artificiels. Les utilisateurs peuvent donner des instructions aux machines qui, par ailleurs, sont aussi capables d’apprendre et de s’adapter à leur environnement de façon autonome.


 

 

Reconstruction des dynamiques multi-échelles, processus d’émergence et d’immergence (2008)

Reconstruction des dynamiques multi-échelles, processus d’emergence et d’immergence

Contributeurs : Paul Bourgine (École polytechnique), David Chavalarias (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/CNRS), Jean-Philippe Cointet (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/INRA), Michel Morvan (ENS Lyon), Nadine Peyrieras (Institut de neurobiologie CNRS).

Mots clés : reconstruction micro et macro, protocole expérimental multi-échelle, émergence, immergence, systèmes dynamiques, systèmes multi-échelles.
Introduction
Les données recueillies à partir des systèmes complexes sont souvent incomplètes et difficiles à exploiter, car elles sont limitées à un seul niveau, c’est-à-dire qu’elles concernent des observations réalisées sur certaines échelles spatio-temporelles . Une collecte de données efficace exige avant tout la définition de concepts partagés et de variables pertinentes pour les modèles à tous les niveau. Une autre difficulté importante concerne l’obtention de représentations uniformisées et cohérentes nécéssaires à lintégration de des différents niveaux d’organisation et la prédiction des dynamiques de l’ensemble du système. Cet objectif peut être atteint en définissant des variables pertinentes à chaque niveau d’organisation, c’est-à-dire à différentes échelles temporelles (dynamique lente/rapide) spatiales (dynamique macro/micro), leurs relations, et la façon dont elles sont couplées dans les modèles décrivant les dynamiques à chaque niveau. Le défi consiste à établir des liens explicites et pertinents du niveau micro vers le niveau macro (fonctions d’émergence) et du niveau macro vers le niveau micro (fonctions d’immergence).

Grands défis
1. Élaborer des cadres conceptuels communs et pertinents pour les sciences de la vie
2. Assurer la cohérence dans la modélisation des systèmes complexes
3. Développer des formalismes mathématiques et informatiques pour la modélisation des systèmes multi-niveaux et multi-échelles


1.5.1. Élaborer des cadres conceptuels communs et pertinents pour les sciences de la vie
Les données recueillies à partir des systèmes complexes sont souvent incomplètes et, par conséquent, difficiles à exploiter. L’un des défis majeurs consiste à élaborer des méthodes communes de collecte de données à différents niveaux d’observation qui soient cohérentes et compatibles dans le sens où elles puissent être permettent d’intégrer les comportements à différents niveaux d’un système multi-niveaux (multi-échelles). Il est donc nécessaire de trouver des modèles multi-échelles qui permettent aux chercheurs de définir des variables expérimentales pertinentes à chaque niveau et d’établir un cadre de référence commun qui tienne compte de la reproductibilité des données aux différents niveaux d’organisation du système complet.


1.5.2. Assurer la cohérence dans la modélisation des systèmes complexes
L’objectif est de trouver une cohérence dans la définition des variables et des modèles utilisés à chaque niveau du système hiérarchique et de rendre compatibles les modèles utilisés pour décrire les dynamiques à chaque niveau hiérarchique d’organisation, à un moment donné et à une échelle spatiale donnés.

Dans un premier temps, il convient de prendre en compte les contraintes naturelles et de vérifier les lois fondamentales à chaque niveau de la description (définition des espèces pertinentes, lois de symétrie, lois physiques, lois de conservation, etc.). L’étape suivante consiste à relier la description et les modèles utilisés pour chaque niveau à ceux des autres niveaux :
(i) modéliser les dynamiques aux niveaux microscopiques peut s’avérer utile pour définir des limites des variables globales et même pour formuler des interprétations correctes de ces variables globales,
(ii) modéliser les dynamiques aux niveaux macroscopiques peut être utile pour définir les fonctions et variables locales régissant les dynamiques microscopiques.


1.5.3. Développer des formalismes mathématiques et informatiques pour la modélisation des systèmes multi-niveaux et multi-échelles
La complexité des systèmes naturels et sociaux provient de l’existence de plusieurs niveaux d’organisation correspondant à différentes échelles spatio-temporelles. L’un des principaux défis de la science des systèmes complexes consiste à développer des formalismes mathématiques et des méthodes de modélisation capables de saisir toutes les dynamiques d’un système par l’intégration de ses activités à de nombreux niveaux, souvent organisés hiérarchiquement. Cet objectif peut être atteint en définissant les fonctions d’émergence et d’immergence, et en intégrant les couplages intra-niveau (horizontaux) et inter-niveaux (verticaux).
Les modèles mathématiques utilisés pour décrire les dynamiques des systèmes naturels et sociaux mettent en jeu un grand nombre de variables couplées correspondant à différentes échelles spatio-temporelles. Ces modèles sont généralement non linéaires et difficiles à traiter lors de l’analyse. Il est donc primordial de développer des méthodes mathématiques qui permettent de construire un système réduit régissant quelques variables globales au niveau macroscopique, c’est-à-dire à des échelles de temps longues et de grandes échelles spatiales. Parmi les problèmes encore ouverts, nous mentionnons a définition de variables pertinentes à chaque niveau d’organisation. Il est également nécessaire d’obtenir des fonctions d’émergence (ou d’immergence) permettant, lors de l’analyse, de passer d’un niveau microscopique (ou macroscopique) à un niveau macroscopique (ou microscopique), pour étudier le couplage entre les différents niveaux et, par conséquent, les effets produits par un changement à un niveau hiérarchique sur les dynamiques à d’autres niveaux.
Les méthodes fondées sur la séparation des échelles de temps permettent déjà l’agrégation de variables et sont utilisées dans la modélisation mathématique pour l’intégration à différents niveaux hiérarchiques. Toutefois, ces méthodes multi-niveaux doivent être étendues à la modélisation par ordinateur, en particulier aux IBM (modèles individu-centrés), ce qui constitue un sujet de recherche très prometteur. En outre, la comparaison des modèles multi-niveaux aux données expérimentales obtenues à différents niveaux reste un défi majeur qui fait écho au développement de méthodologies de modélisation mathématique et informatique des systèmes multi-niveaux.

 

 

Du contrôle optimal à la gouvernance mutli-échelles (2008)

Du contrôle optimal à la gouvernance mutli-échelles

Rapporteur : Jean-Pierre Müller (CIRAD).

Contributeurs : Frédéric Amblard (université de Toulouse), Jean-Christophe Aude (CEA), David Chavalarias (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/CNRS), Jean-Philippe Cointet (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/INRA ), Valérie Dagrain (Consultante technologie information), Guillaume Deffuant (Météo-France et université Paris-Est Cemagref), Sarah Franceschelli (Paris Jussieu), Pablo Jensen (ENS Lyon), Maud Loireau (IRD), Denise Pumain (université Paris 1), Ovidiu Radulescu (université de Rennes 1), Eric Sanchis (université Paul Sabatier).

Mots clés : gouvernance, contrôle, multi-critères, contrôle optimal, viabilité, négociation, multi-niveaux, compromis exploration/exploitation, incertitude, acceptabilité sociale, participation.
Introduction
Agir sur un système complexe pose d’abord aux institutions chargées de sa gouvernance le problème de la définition des objectifs à atteindre. Ces objectifs doivent souvent intégrer divers points de vue et intérêts contradictoires des parties prenantes à plusieurs niveaux. Ensuite, pour trouver des compromis et prendre des décisions concernant les mesures politiques à mettre en œuvre pour atteindre les objectifs, il est nécessaire d’élaborer une bonne compréhension du phénomène, le plus souvent à travers des modèles incluant l’effet de ses éventuelles mesures. (Nous touchons ici à nouveau au problème général de la modélisation et de la reconstruction de la dynamique à partir de données, traité dans une autre section de la feuille de route). Malheureusement, les méthodes de contrôle actuelles (apprentissage par renforcement, viabilité, etc.) ne fonctionnent que dans des territoires étatiques de petite dimension. Nous pouvons rechercher des progrès dans deux directions : en étendant ces méthodes multi-niveaux à des espaces plus larges et à des dynamiques multi-niveaux (niveau centralisé ou décentralisé, par exemple), ou bien en projetant les modèles multi-échelles dans des espaces restreints. L’utilisation éventuelle de dynamiques stylisées constitue une autre direction de recherche qui pourrait ouvrir de nouvelles possibilités pour la mise en œuvre de mesures politiques appropriées sur les dynamiques complexes. Enfin, les dynamiques sont souvent incertaines ou méconnues, ce qui nécessite d’étendre le compromis entre exploration des parties les moins connues et exploitation des parties les mieux connues à la reformulation du problème (incluant la reformulation des objectifs). Dans ce contexte, la conception d’un système complexe peut se voir comme un problème de contrôle.

Grands défis
1. Étendre la portée du contrôle optimal
2. Projeter les dynamiques complexes dans des espaces restreints
3. Projeter le contrôle optimal dans un espace multi-échelles et de grande dimension
4. Étendre le compromis exploration/exploitation jusqu’à la reformulation du problème
5. Coadaptation de la gouvernance et des objectifs des parties prenantes


1.4.1. Étendre la portée du contrôle optimal
Les méthodes actuelles de contrôle optimal peuvent gérer les dynamiques non linéaires incertaines et les définitions flexibles des objectifs (dans la théorie de la viabilité, par exemple), mais elles sont limitées par le fléau de la dimension : ces méthodes doivent expérimenter le territoire étatique avec une précision déterminée, ce qui exige une puissance de calcul qui augmente de façon exponentielle avec la dimension du territoire étatique. Étendre ces méthodes à des espaces de plus grande dimension est donc primordial pour permettre leur utilisation dans le contexte des systèmes complexes.

Une approche possible pour aborder ces questions est le développement des structures plus faibles que le contrôle optimal. Le contrôle peut rechercher la résilience et la viabilité, par exemple, ou le maintien de certaines propriétés fonctionnelles importantes, sans exiger l’objectif traditionnel de contrôle optimal, ce qui revient à maximiser une fonction.

Enfin, dans certains cas, mêler l’optimisation mathématique des mesures politiques et les approches participatives dans le cadre d’un dialogue fréquent peut constituer un bon compromis entre flexibilité, acceptabilité sociale et rationalité. Ces approches nécessitent un objectif méthodologique spécifique sur la manière de définir les aspects du problème pouvant être traités automatiquement et sur la manière d’intégrer efficacement les résultats de ces algorithmes d’optimisation à d’autres aspects du processus de décision de groupe.


1.4.2. Projeter les dynamiques complexes dans des espaces restreints
Une autre possibilité pour aborder le problème posé par les limites des méthodes de contrôle actuelles consiste à réduire les dimensions des dynamiques complexes (à travers l’identification des dynamiques lentes, l’agrégation des territoires étatiques, la définition de dynamiques stylisées, etc.). Ce type de travail est également très important dans les processus de négociation et de formulation afin de fournir aux parties prenantes des matières intelligibles à partir desquelles elles pourront facilement exprimer leur point de vue. Nous ne connaissons pas d’approche de réduction qui se conforme aux opinions locales des différentes parties prenantes : de telles approches seraient très intéressantes.

La réduction de la dimensionnalité s’applique à la fois aux données (information) et aux modèles. Les techniques statistiques fondées sur l’analyse en composantes principales déterminent un espace linéaire contenant l’information essentielle. Elles ne s’appliquent pas à la corrélation non linéaire, alors que la projection devrait aboutir à des ensembles convexes. De nouvelles méthodes sont indispensables pour couvrir également ce cas. Les composantes indépendantes non linéaires constituent l’une des directions de recherche potentielles. Les techniques classiques de réduction de modèle, comme le calcul des moyennes, les perturbations singulières ou le calcul des ensembles invariants, sont fondées sur la séparation des échelles de temps et d’espace. Ces méthodes sont actuellement utilisées pour des applications en physique et en chimie, et elles pourraient être adaptées pour prendre en compte les spécificités d’autres domaines. En outre, les systèmes complexes ne sont que partiellement spécifiés. Par exemple, les modèles en biologie sont qualitatifs et la connaissance des paramètres est incomplète. Les méthodes classiques de réduction de modèle commencent par des modèles entièrement spécifiés (tous les paramètres sont connus). Nous avons besoin de techniques de réduction de modèle pouvant remplacer les données numériques par des données ordinales (un paramètre est bien plus petit que les autres) ou d’autres types d’informations qualitatives.


1.4.3. Projeter le contrôle optimal dans un espace multi-échelles et de grande dimension
Une possibilité supplémentaire consiste à étendre le contrôle optimal (et tout développement au-delà du contrôle optimal) aux systèmes multi-échelles de grande dimension. Cette extension doit envisager la possibilité d’utiliser la distribution de politiques à différents niveaux, et en particulier de manière décentralisée. Cet objectif représente un véritable défi, même si l’effet des contrôles est parfaitement connu, car non seulement le système, mais le contrôle lui-même est multidimensionnel et produit des effets potentiellement non linéaires dans la coordination du contrôle. La recherche a besoin de nouvelles approches pour progresser dans cette direction.

La portée de cette approche pourrait également être étendue aux cas à objectifs multiples à différentes échelles. Cette possibilité consiste à introduire le concept d’« objectif complexe » et exigerait probablement de nouveaux formalismes pour décrire l’architecture et les liens entre ces objectifs multi-échelles. Comme elles sont décrites à différents niveaux, les méthodes de contrôle actuelles ne sont pas adaptées à ce concept. De nouvelles recherches devraient donc être entreprises dans ce domaine en utilisant un contrôle centralisé ou distribué. Cette dernière méthode est séduisante, car elle permet une sémantique différente de contrôle et de mesures à différentes échelles. Le concept soulève plusieurs questions, notamment : comment coupler et synchroniser les contrôleurs ? Comment gérer des mesures simultanées et opposées sur le système ? Comment gérer les différents niveaux hiérarchiques ? Comment associer participation/prise de décision/optimisation ? Comment mettre en œuvre un contrôle distribué avec un unique objectif général ou de multiples objectifs locaux, ou encore les deux ?


1.4.4. Étendre le compromis exploration/exploitation jusqu’à la reformulation du problème
Les décideurs ont souvent de multiples possibilités d’action et ils doivent effectuer des choix pour allouer les ressources. Le résultat éventuel des mesures politiques, par rapport aux objectifs, reste souvent méconnu, ce qui rend l’évaluation des politiques très difficile. Par conséquent, les décideurs sont régulièrement confrontés à un compromis entre une nouvelle exploration des différentes possibilités d’action disponibles et l’exploitation de certaines possibilités en particulier. Explorer les possibilités exige des expériences à des échelles spatio-temporelles appropriées, et donc la dépense de ressources. Ces dépenses doivent être comparées avec le bénéfice potentiel de cette exploration, par rapport à l’exploitation pure et simple habituellement connue.

Dans le cadre de la gouvernance, l’exploration est nécessairement réalisée à une échelle spatio-temporelle déterminée, alors que les initiatives de gouvernance sont réalisées dans des systèmes ouverts et, par conséquent, à plusieurs échelles d’espace et de temps. Le défi est donc de proposer des méthodes et des outils pouvant aller au-delà des contraintes de l’exploration et combler l’écart entre les résultats des expériences d’exploration et la mise en œuvre de mesures de gouvernance in vivo à pleine échelle. Ces méthodes doivent tenir compte de la nature réactive et adaptable des systèmes ciblés, comme cela a été spécifié dans le défi nº 1.


1.4.5. Coadaptation de la gouvernance et des objectifs des parties prenantes
Dans un contexte multi-niveaux, identifier les parties prenantes et le territoire concerné est un problème en soi.
La coexistence de différents objectifs, qui peuvent être en conflit, soulève des problèmes de gestion ou de régulation du système. De plus, dans certaines circonstances, le fait que ces objectifs peuvent évoluer avec l’environnement (contexte social) ou s’adapter à un contexte dynamique (intelligence ambiante) rend le système encore plus complexe à gérer ou à concevoir.
Nous pouvons nous concentrer sur deux défis :
1.4.5.1. Dimension statique : gouvernance dans le contexte de l’hétérogénéité des parties prenantes, de leurs points de vues et de leurs intérêts
Le défi consiste à développer des modèles et des méthodologies prenant en compte l’importante hétérogénéité de points de vue et d’intérêts des parties prenantes, renforcée par l’intrication d’une large gamme d’échelles d’espace et de temps. L’analyse multi-critères est un point de départ pour résoudre ces problèmes, mais elle doit être étendue pour incorporer plusieurs objectifs parallèles et inclure le processus de reformulation. En outre, le choix d’indicateurs liés aux objectifs donnés ou à leur réalisation doit inclure la participation des parties prenantes et la facilité d’utilisation. D’autre part, les conséquences théoriques du choix des indicateurs, en particulier les biais qu’ils peuvent introduire, doivent être soigneusement étudiées. Ces outils et ces méthodes ont pour but d’aider à définir des critères pour l’analyse de l’adéquation des objectifs (évaluation en tout temps) et à progresser vers leur réalisation.
1.4.5.2. Dimension dynamique : évolution des objectifs et des points de vue des parties prenantes dans le processus de gouvernance
Le défi consiste à développer des modèles et des méthodologies prenant en compte les boucles de rétroaction associées aux mécanismes d’auto-régulation, ainsi que l’interdépendance des intérêts particuliers durant le processus de gouvernance. Par exemple, des changements dans les processus d’interaction des décideurs et des parties prenantes peuvent altérer leurs conceptions des objectifs, et du problème lui-même, et cette altération peut à son tour affecter le processus d’interaction. Ce processus devient encore plus complexe dans un contexte social, avec des efforts visant à coordonner de multiples objectifs au niveau collectif. Les échelles de temps doivent être prises en compte pour la constitution du modèle, la prise de décision et le processus d’interaction.
Ces aspects du problème sont liés à la question de la gouvernance et se concentrent sur le contexte participatif où le co-apprentissage devient aussi important que la négociation collective et la prise de décision. Par ailleurs, les résultats de l’interaction durant le processus de gouvernance peuvent ouvrir de nouvelles perspectives sur le problème, et éventuellement de nouveaux objectifs de gouvernance (prenant en compte, par exemple, l’acceptabilité sociale) ou encore de nouvelles structures de l’architecture multi-échelles des organisations de gouvernance.


 

 

Comportement collectif dans les systèmes homogènes et hétérogènes (2008)

Comportement collectif dans les systèmes homogènes et hétérogènes

Rapporteur : Francesco Ginelli (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France ).

Contributeurs : Cyrille Bertelle (Le Havre), Guillaume Beslon (LIRIS, Lyon), David Chavalarias (CREA – ISC-PIF, Paris), Valérie Dagrain (France), François Daviaud (CEA, Saclay), Jean-Paul Delahaye (Lille), Silvia De Monte (CNRS, Paris), Cédric Gaucherel (INRA), Jean-Louis Giavitto (IBISC, Evry), Francesco Ginelli (ISC Paris et CEA/Saclay), Christophe Lavelle (Institut Curie, Paris), André Le Bivic (CNRS SDV, Marseille), Jean-Pierre Müller (CIRAD), Francesco d’Ovidio (ENS Paris), Nadine Peyrieras (CNRS, Gif s/Yvette), Eric Sanchis (université Paul Sabatier, Toulouse), Fabien Tarissan (École polytechnique).

Mots clés : dynamiques collectives, diversité intra-population, modèles centrés sur l’agent, hétérogénéité environnementale, équations aux dérivées partielles stochastiques, techniques de reconstruction, description mésoscopique, méthode de Lyapunov, synchronisation de phase.
Introduction
Des réseaux génétiques et sociaux à l’écosphère, nous rencontrons des systèmes composés de nombreuses unités distinctes, qui présentent des comportements collectifs à plusieurs échelles d’espace et de temps nettement différents du comportement des unités constituant ces systèmes. Nous pouvons ici mentionner, entre autres, les mouvements des cellules lors de la formation des tissus, les dynamiques de troupeaux, les comportements collectifs et économiques des sociétés humaines ou encore la différenciation des espèces dans l’évolution.

La complexité de ces phénomènes se reflète dans les propriétés non triviales des dynamiques collectives – qui apparaissent au niveau général des populations – par rapport aux dynamiques au niveau microscopique. De nombreuses réponses et de nouvelles connaissances sur ces phénomènes peuvent et ont pu être obtenues en les analysant à travers l’observation des dynamiques non linéaires et de la physique statistique hors équilibre. Dans ce contexte, il est souvent supposé que le niveau microscopique est composé d’unités identiques. Or, l’hétérogénéité est présente à différents degrés dans les populations réelles comme artificielles. Par conséquent, les descriptions existantes doivent également inclure la variabilité des unités individuelles et de leur environnement, et définir les structures qui émergent au niveau de la population. De même, si un environnement homogène (moyen) représente une approximation utile pour l’étude des dynamiques collectives, il est assez rare qu’un environnement existant, naturel ou artificiel, soit homogène, et l’hétérogénéité influence profondément les structures, la dynamique et l’avenir d’une population. La variabilité de l’environnement s’applique aux deux échelles, spatiale et temporelle. Les exemples vont des filaments et vorticelles en milieu liquide aux parcelles et corridors en milieu terrestre, en passant par les ressources fluctuantes.

Du point de vue méthodologique, la réussite d’une modélisation de telles influences requiert au minimum une quantification des hétérogénéités environnementales à différentes échelles, une meilleure formalisation de l’hétérogénéité, l’identification des caractéristiques d’hétérogénéité pertinentes à l’échelle de la population et l’étude des réactions de la population aux changements de cette hétérogénéité.

Pour comprendre les processus biologiques, il est en outre capital de connaître l’origine de l’hétérogénéité ainsi que la manière dont elle influe sur le développement futur des motifs émergents à différentes échelles. Au cours des premières phases de l’embryogenèse des métazoaires, par exemple, la diversité des cellules – nécessaire pour la différenciation ultérieure des fonctions – est générée par la distribution non homogène des composants subcellulaires, la division cellulaire et l’interaction entre l’environnement et les cellules. Les modèles doivent relier le comportement collectif des populations cellulaires, à la base de la formation des motifs, à la diversification et la différenciation des cellules. À ce jour, les aspects théorique et expérimental de ces questions sont presque inexplorés. Découvrir comment les comportements moléculaires et cellulaires sont couplés dans ces processus représente un défi majeur pour la biologie du développement.

Une collaboration étroite entre physiciens et biologistes spécialisés en analyse non linéaire, scientifiques spécialisés en sciences sociales et experts en informatique s’est révélée essentielle pour permettre à la recherche d’avancer sur ces sujets.

Grands défis
1. Dynamiques collectives des unités homogènes ou hétérogènes
2. Dynamiques collectives dans les environnements hétérogènes
3. Émergence de l’hétérogénéité et des processus de différenciation, hétérogénéité dynamique et diffusion de l’information


1.3.1. Dynamiques collectives des unités homogènes ou hétérogènes
Ces dernières années, les chercheurs ont déployé des efforts considérables pour étudier et caractériser l’émergence des phénomènes collectifs par l’observation, l’expérimentation et la théorie. La recherche a exploré une gamme étendue de systèmes, des nanostructures aux matières granulaires en passant par les dynamiques neuronales et les organisations sociales du règne animal (sociétés humaines comprises).

La nature dynamique intrinsèque de ces phénomènes présente de grandes similarités avec la physique des systèmes non linéaires. Des études ont en effet recensé un certain nombre de passages dynamiques vers un comportement collectif organisé ayant une forte résonance avec des systèmes rencontrés en physique : synchronisation de phase dans l’interaction des systèmes oscillants, classement des transitions de phase dans des systèmes composés d’agents auto-propulsés, auto-organisation et formation de modèles dans des systèmes distribués dans l’espace (systèmes écologiques, par exemple).

La compréhension complète des relations entre les dynamiques microscopiques et les propriétés macroscopiques est cependant encore loin d’être acquise. Par exemple, les recherches sur l’émergence des dynamiques logiques non triviales à un niveau général, hors d’oscillateurs microscopiques ouverts qui se caractérisent par des échelles temporelles plus courtes que celles des oscillateurs macroscopiques, ne sont toujours pas dotées d’un cadre théorique. Si certains chercheurs pensent qu’il est possible d’extraire les coefficients de transfert des composants à grande longueur d’onde issus d’analyses linéaires microscopiques (méthode de Lyapunov), cette théorie n’est toujours pas clairement définie. Les systèmes composés d’unités auto-propulsées semblent présenter des fluctuations d’une densité numérique anormalement importante – phénomène inconnu dans le domaine des matériaux à l’équilibre, mais observé lors d’expérimentations sur des milieux granulaires – un phénomène dont les modèles théoriques actuels ne rendent que partiellement compte.

De nouvelles découvertes sont attendues de la description à l’échelle mésoscopique intermédiaire reliant les niveaux microscopiques et macroscopiques par les quantités de granularité pertinentes à des échelles spatio-temporelles locales appropriées. En raison de l’importance des fluctuations dans les phénomènes hors équilibre, les équations aux dérivées partielles (EDP) qui en découlent devraient produire des conditions stochastiques, souvent multiplicatives, dans les champs de granularité. L’analyse de ces EDP stochastiques est un défi à relever par les physiciens comme par les mathématiciens, d’un point de vue numérique et analytique. Pour cela, de nouvelles techniques très puissantes, comme le groupe de renormalisation non perturbatif, promettent d’apporter un nouvel éclairage sur ce sujet dans un proche avenir.

Si les chercheurs se sont jusqu’à présent concentrés sur des systèmes constitués d’unités en grande partie identiques, de nombreuses questions fort intéressantes sont soulevées par des systèmes tels que les organismes vivants composés de divers types de cellules ou les écosystèmes dans lesquels de nombreuses espèces sont composées d’unités de différentes sortes. La compréhension complète de l’émergence des phénomènes collectifs dans de tels systèmes nécessite la prise en compte des interactions entre ces éléments et fait naître de nombreuses questions. Dans quelle mesure est-il possible de réduire des systèmes hétérogènes pour qu’ils deviennent homogènes ? En d’autres termes, certains systèmes ont-ils pour caractère irréductible un grand degré d’hétérogénéité (les niches écologiques complexes, par exemple), et sont-ils simplement au-delà de toute description de modèles plus simples et dissociés comportant peu d’espèces ? Les propriétés émergentes des systèmes homogènes sont-elles préservées dans les systèmes hétérogènes et quelles sont les caractéristiques spécifiques qui naissent de l’hétérogénéité microscopique au niveau collectif ? Quel est le rapport entre les propriétés émergentes et les résultats obtenus précédemment dans un contexte plus homogène ? Les résultats théoriques relatifs aux systèmes homogènes peuvent-ils être élargis aux systèmes hétérogènes ? Est-il possible d’étendre les champs d’application des outils déjà développés pour la modélisation des dynamiques collectives afin qu’ils prennent aussi en compte l’hétérogénéité (la simulation centrée sur l’agent peut être très facilement élargie, par exemple) ou devons-nous développer de nouveaux instruments spécifiques ?

Au niveau théorique, un certain nombre de voies se révèlent prometteuses. L’étude des systèmes simples composés d’oscillateurs couplés à fréquences hétérogènes, par exemple, est susceptible d’apporter de nouvelles connaissances sur des systèmes plus concrets, alors que l’importance du rôle de la plasticité synaptique dans la dynamique neuronale est reconnue depuis longtemps déjà.

La ségrégation entre espèces différentes peut être aisément décrite par les modèles hétérogènes centrés sur l’agent, tandis que les cellules peuvent être considérées comme un fluide non homogène. Par conséquent, les résultats théoriques sur le comportement de tels systèmes (par exemple les transitions de phase, la diffusion dans les milieux hétérogènes denses, etc.) devraient apporter un nouvel éclairage sur de nombreuses questions ouvertes en biologie moléculaire et cellulaire, telles que l’organisation du noyau cellulaire, la diffusion à travers les membranes, la transduction de signal ou la régulation de la transcription.

Enfin, il est important de rappeler que l’approche théorique doit être développée parallèlement aux observations expérimentales. L’étude des modèles doit fournir des résultats sous une forme permettant de les comparer et de les valider par des expérimentations quantitatives. Ce sont notamment les techniques de reconstruction spatiale – permettant de mesurer la position et la trajectoire en trois dimensions de chacune des unités au sein d’un grand groupe – qui s’avèrent de plus en plus utiles pour extraire des informations sur les dynamiques à l’échelle microscopique.


1.3.2. Dynamiques collectives dans les environnements hétérogènes
La complexité des dynamiques collectives reflète non seulement les propriétés des unités individuelles et leurs interactions, mais également les influences exercées par l’environnement alentour. Évaluer la façon dont l’hétérogénéité environnementale influe sur les systèmes collectifs pose un défi crucial dans de nombreuses disciplines, dont la biologie, les géosciences, les sciences sociales et l’informatique.

L’approche des systèmes complexes a pour but de fournir un cadre unificateur pour étudier les effets de l’hétérogénéité environnementale sur la dynamique des populations. Nous attendons en particulier des avancées dans les voies suivantes :

  • Analyses multi-échelles : l’observation et la mesure de l’hétérogénéité environnementale requièrent de nouveaux outils pour sa détection en milieux bruyants et son analyse multi-échelles. En écologie du paysage, par exemple, les chercheurs ont besoin d’enregistrer la sensibilité d’échelonnage de l’hétérogénéité de la mosaïque or, il n’existe toujours pas d’outils techniques appropriés à ce travail. L’étude du plancton pose un problème analogue : les turbulences confèrent une structure spatio-temporelle aux populations à des échelles d’espace et de temps allant de quelques centimètres à la taille d’un bassin océanique et de quelques minutes à plusieurs années, alors que les observations réalisées jusqu’à présent ne couvrent qu’une partie de ces échelles.
  • Formalisation : saisir l’hétérogénéité dans les modèles requiert de nouveaux moyens de représentation mathématique. Les équations, algorithmes et représentations géométriques doivent donc inclure l’hétérogénéité environnementale à différentes échelles, et décrire ainsi qu’accoupler l’environnement aux dynamiques sous-jacentes des unités individuelles qui composent un système. Par exemple, les interactions hydrodynamiques à grande distance doivent être incluses dans les modèles qui décrivent le mouvement collectif des bactéries se déplaçant dans des fluides visqueux. L’évolution de la couverture végétale a été formalisée par l’application d’équations différentielles pour le processus de diffusion en continu ou les approches fondées sur la percolation. Nous devons élaborer une formalisation mathématique pour des environnements plus discontinus en termes d’hétérogénéité environnementale ou d’unités constituantes.
  • Identification des principales caractéristiques environnementales : les modèles ne peuvent inclure une description de toutes les sources d’hétérogénéité possibles. Il est donc important d’identifier les aspects de cette hétérogénéité les plus pertinents pour la description choisie d’un système. L’hétérogénéité peut être étudiée en termes d’information, de texture, de paramètres de corrélation ou de structures cohérentes sélectionnées en fonction des dynamiques collectives étudiées. Par exemple, les structures de paysage peuvent présenter des formes d’hétérogénéité différentes selon les propriétés qui influent sur la dynamique collective : les contrastes accentuent souvent les effets de barrière tandis que la connectivité souligne les trajectoires préférentielles dans la mosaïque. Dans un milieu fluide, les barrières de transfert et les zones de mélange structurent la distribution spatiale des marqueurs ; les méthodes non linéaires permettent d’extraire de telles structures à partir de leur champ de vitesse et de faire la lumière sur l’interaction entre la turbulence et les marqueurs biochimiques.
  • Environnements en évolution : l’hétérogénéité est rarement définissable une fois pour toutes puisqu’elle évolue dans le temps. Les changements qui en découlent peuvent se produire sur des échelles de temps plus rapide que celles des dynamiques collectives, ou se manifester par des dérives lentes des propriétés environnementales. Ces deux types de changement affectent les populations microbiologiques comme celles qui vivent dans des milieux où la disponibilité de nourriture et la température sont soumises à d’importantes fluctuations, par exemple. Une description appropriée de l’adaptation et de l’évolution d’un comportement collectif exige de prendre ces fluctuations en compte. Si une population induit elle-même des modifications de son milieu, c’est la rétroaction entre le comportement collectif et l’hétérogénéité environnementale qui forme la dynamique couplée population-environnement, comme dans l’interaction entre le biote et la terre dans le sillage d’un changement climatique.

1.3.3. Émergence de l’hétérogénéité et des processus de différenciation, hétérogénéité dynamique et diffusion de l’information
Des réseaux génétiques aux réseaux sociaux et aux écosphères, de nombreux systèmes naturels présentent une hétérogénéité endogène : une hétérogénéité qui naît du fonctionnement même du système. Les mécanismes qui produisent cette hétérogénéité comprennent la différenciation des cellules dans l’ontogenèse, la différentiation sociale ainsi qu’économique dans les sociétés humaines, et la différenciation des espèces dans l’évolution. L’origine et le rôle de cette hétérogénéité dans la viabilité et le maintien de ces vastes systèmes sont encore largement méconnus, et ce, même si leur importance est reconnue dans l’émergence des macrostructures topologiques qui sous-tendent souvent des fonctions générales. Comprendre l’émergence de l’hétérogénéité et sa conservation représente par conséquent un défi à relever et de grands efforts à déployer en vue de gérer et, éventuellement, de contrôler les systèmes complexes.

Une simple structure homogène (copies multiples d’un même objet ou espace topologique uniforme) compte principalement quatre types de processus à travers lesquels émerge l’hétérogénéité. Ces processus peuvent être classés en termes de complexité de Kolmogorov et de profondeur logique (méthode de mesure de la « complexité organisationnelle » introduite par Charles Bennett).

  • Émergence aléatoire : le bruit sur une structure régulière simple (perturbation aléatoire). On observe une augmentation de la complexité de Kolmogorov, mais non pas de la complexité organisationnelle.
  • Évolution coordonnée ou fortement contrainte. Exemple : la duplication d’un gène permet d’obtenir deux gènes, de différencier la fonction de chacun, ou de différencier les individus dans une structure sociale (spécialisation, nouvelles fonctions, etc.) Cela n’est pas nécessairement associé à une augmentation notable de la complexité de Kolmogorov, mais à une augmentation de la complexité organisationnelle (« cristallisation d’un calcul »).
  • Émergence mixte : le caractère aléatoire et les contraintes jouent un rôle dans le processus dynamique de l’émergence. Exemples : des modules moléculaires et génétiques entiers sont réutilisés et évoluent, produisant une diversité morphogénétique et fonctionnelle, une spéciation par isolement et une adaptation à diverses contraintes géographiques ; plusieurs copies d’une entité soumise à diverses conditions divergent par apprentissage ou adaptation mutuelle. Dans ce cas, il y a augmentation de la complexité de Kolmogorov et de la complexité organisationnelle.
  • Émergence par « calcul/expression d’un programme préexistant ». Si le « calcul » est rapide et non aléatoire, il n’y a pas augmentation de la complexité de Kolmogorov, ni de la complexité organisationnelle.