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De la cognition individuelle à la cognition sociale

De la cognition individuelle à la cognition sociale

Rapporteur : David Chavalarias (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/CNRS).

Contributeurs : Paul Bourgine (École polytechnique), David Chavalarias (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/CNRS), Jean-Philippe Cointet (Institut des systèmes complexes de Paris Île-de-France/INRA), Camille Roth (CAMS).

Mots clés : dynamiques sociales, modélisation des critères de décision, mesures quantitatives sociales, cognition sociale, hétérogénéité interindividuelle.

Introduction
La cognition signifie, au sens large, le traitement de l’information, incluant tous les aspects comme, par exemple, les processus d’interprétation. Un système cognitif est donc un système de traitement de l’information. Il peut être intégré dans un seul individu ou réparti sur un grand nombre de personnes. On parlera alors de cognition individuelle ou de cognition distribuée. La cognition sociale est une cognition distribuée sur l’ensemble des individus d’une société en interaction au sein d’un réseau social. La cognition individuelle peut, elle aussi, être considérée comme une cognition distribuée sur un réseau neuronal.

Dans les réseaux sociaux, lorsque une information atteint les agents, son contenu est traité par le réseau social, produisant d’autres informations et d’autres liens sociaux à la suite de série d’interactions. Ce processus de cognition sociale pourrait ainsi conduire à une transformation du réseau social.

Aussi bien au niveau individuel que collectif, les processus cognitifs obéissent à de fortes contraintes : rien ne peut être fait par des individus en dehors de ce qu’ils savent faire seuls ou en interaction avec les autres ; rien ne peut être anticipé en dehors de ce qu’ils peuvent prévoir seuls ou en interagissant avec les autres. De la même façon, la structure du réseau et la nature des interactions agissent comme de fortes contraintes sur les processus cognitifs. De nouveaux protocoles apparaissent et permettent de décrire ou de quantifier ces contraintes aux niveaux infra-individuel, individuel et collectif, de manière à suggérer, à leur tour, de nouveaux modèles. La migration rapide des interactions sociales vers les médias numériques permet la collecte massive de données sur la cognition sociale du point de vue de ses processus (la structure spatiale des interactions, des distributions temporelles, etc.) et de ses produits (documents électroniques en ligne, données sur les utilisateurs, etc.). La coexistence de ces deux phénomènes ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives pour l’étude de la cognition individuelle et sociale sur la base de l’analyse comparative avec des données empiriques. Cela devrait être un axe majeur des initiatives de recherche pour une meilleure compréhension de l’évolution de nos sociétés.

Grands défis

  • Cognition individuelle, contraintes cognitives et processus de décision
  • Modéliser les dynamiques des communautés scientifiques
  • Société de l’internet, l’internet de la société

 


2.5.1. Cognition individuelle, contraintes cognitives et processus de décision

La relation entre les processus cognitifs de haut niveau et de bas niveau reste problématique : le lien entre les processus dynamiques dans le réseau neuronal et les processus symboliques étudiés par la psychologie ou la linguistique sont encore mal compris. Une voie prometteuse consiste à explorer de manière beaucoup plus attentive les dynamiques spatio-temporelles mésoscopiques comme, par exemple, les colonnes corticales, les assemblées de neurones synchrones (ou, plus généralement, polysynchrones). Ces dynamiques spatio-temporelles peuvent servir de véritables révélateurs des processus symboliques. Un travail d’exploration théorique et méthodologique, de même qu’un partage des données au sein de très grandes bases munies de leurs métadonnées, est incontournable pour aboutir à une meilleure compréhension du passage entre processus dynamiques et processus symboliques.

Une avancée notable dans ce grand défi permettrait non seulement d’unifier un aspect essentiel des sciences cognitives, mais aussi de renforcer le lancement de la nouvelle discipline de la neuro-économie : l’observation de l’activité neuronale renouvelle l’étude du comportement du sujet face à la « nature » ou dans ses interactions stratégiques et sociales avec les autres. Cela permettrait aussi de revisiter, du point de vue de l’économie cognitive, la théorie de la décision, et aussi la théorie des jeux traditionnelle, y compris les concepts de « préférence » et d’« utilité » qui constituent la base de la théorie économique.


2.5.2. Modéliser les dynamiques des communautés scientifiques

Les communautés scientifiques constituent un espace privilégié pour l’étude de la cognition sociale car la structure des réseaux impliqués (organisation en équipes, réseaux de collaboration, réseaux de coauteurs, réseaux de citations) et la production de ces communautés (colloques, revues, articles) sont connues sous leurs formes dynamiques. Pour échanger des concepts, ces communautés développent un langage propre dont l’évolution reflète leur activité.
Ceci permet de poser des questions très précises sur la manière dont les communautés scientifiques traitent collectivement l’information, et pour n’en citer que quelques-unes : comment sont adoptés les nouveaux concepts ou les nouvelles thématiques ? Quelles sont les structures remarquables dans la diffusion des innovations (effets de prestige, de traditions locales, etc.) ? Quel est l’effet de la répartition des individus en communautés ou bien de la création de liens entre communautés sur le développement de la connaissance ? Quelles sont les relations entre trajectoires individuelles et évolutions des communautés ? Quels outils développer pour visualiser dynamiquement l’évolution des paradigmes scientifiques en intégrant au fur et à mesure le flux des productions scientifiques ?

Exemples :

  • émergence et diffusion de nouveaux concepts dans les bases de données bibliographiques,
  • détection de champs scientifiques émergents,
  • dynamique des réseaux de collaboration,
  • comparaison des orientations scientifiques entre communautés ou organismes distincts.

2.5.3. Société de l’internet, l’internet de la société

La quantité d’informations archivées sur Internet aura bientôt largement dépassé celle qui est stockée sur support papier. Internet rassemble aujourd’hui des espaces de stockage de connaissances de types très variés (articles, encyclopédies, etc.). Il s’agit aussi d’un lieu de discussion (blogs, forums), de commerce (sites d’enchères, de vente et de troc), de référencement (autant pour les individus à travers les pages personnelles que pour les institutions ou les entreprises), et il sert aussi de mémoire externe pour les réseaux de relations (réseaux d’amis, groupes de travail, etc.). Il est en outre un « agenda universel » annonçant des centaines de milliers d’événements par jour. Quels changements ce nouvel outil est-il en train d’apporter aux processus de cognition sociale (nouvelles formes de rencontre, nouvelles formes d’échange, nouvelles formes de débat, nouvelles formes d’élaboration collective de connaissances) ? Pour la première fois, toutes ces données sont empiriquement exploitables avec une très grande précision spatio-temporelle. Comment utiliser ces nouvelles sources d’information pour mieux comprendre les dynamiques sociales et nous munir d’outils pour visualiser la complexité de l’activité sociale révélée par Internet ? Un défi majeur est de transformer l’information brute disponible sur Internet en des flux structurés d’informations permettant de visualiser, de modéliser et de reconstruire de manière multi-échelle les processus de cognition sociale à l’œuvre sur la toile.

Exemples :

  • impact des blogs dans les débats politiques et citoyens,
  • nouvelles dynamiques pour l’élaboration collective de connaissances (Wikipedia, logiciels libres, etc.),
  • mesure de propagation d’émotion collective suite à un événement social important via le nombre de requêtes (Google trends, par exemple),
  • étude comparative des différences culturelles via les informations géolocalisées (sémantique des pages Web, tags, requêtes dans les moteurs de recherche, etc.), reconstruction des territoires culturels,
  • formation de communautés épistémiques et réseaux d’amis.